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Moncef Bouchrara

10 MILLIONS D'ENTREPRENEURS Les Tunisiens connaissent la désillusion des après révolutions. Devant l'impuissance et l'irresponsabilité historique de leurs gouvernants et de leurs élites politiques, beaucoup cherchent d'autres voies de redressement du pays et de leur socièté.Comment regarder La Socièté Tunisienne autrement ? Comment regarder l'homme autrement ? Ce blog offre en partage un certain nombre de mes textes écrits et publiés, pour certains depuis plus de 30 ans. D'autres plus recents. Ils refletent une autre perspective et une autre vision pour se redresser et se remettre sur le chemin du progrès et de l'égalité. Le chemin pour une Socièté de 10 millions d'entrepreneurs citoyens.

7 MILLIONS D’ENTREPRENEURS ! Par Moncef BOUCHRARA, (1987)

7 MILLIONS D’ENTREPRENEURS !
Par
Moncef BOUCHRARA

 

Article paru à Tunis dans la revue "Dialogue" N°644 du 9/2/87, Tunis.

 

Connaissez-vous Hassine El GHARBI de Menzel Bourguiba ? Hassine El GHARBI a 80 ans, c’est pourtant un héros de la Tunisie moderne, un héros inconnu. Par quoi est-il donc remarquable ? Pour ceci: en 1980, il remporte le premier prix du Concours de l’invention BSB avec un tamis pour farine, peu cher. "C’est un appareil, expliqua-t-il, que j’ai mis au point pour les boulangers de mon pays,car j’en ai assez de trouver dans mon pain, des saletés, des bouts de ficelles, ou des clous!".

Il reste que cette idée était sous forme de prototype. II fallait une sanction économique à cette intuition. Il fallait qu’elle se transforme en production effective. Normalement, il n’y a guère de problème dans notre pays pour trouver des crédits pour monter une entreprise. Le, problème était l’âge de l’entrepreneur (74 ans). Finalement, grâce à des complicités discrètes dans le Ministère de l’Economie Nationale et l’appui permanent de Feu Béchir Salem Belkhiria, Hassine El Gharbi obtint un agrément et un crédit FOPRODI (Fonds d’aide aux jeunes promoteurs) pour un investissement total de 70.000 dinars. Si Hassine démarra avec 22 ouvriers en 1983 et son appareil connut tout de suite un énorme succès auprès des boulangers de ce pays. Un an plus tard, il porta son effectif à 45 personnes.

 

Hassine El Gharbi est illetré, En 1980, il était déjà retraité depuis longtemps de l’Ancien Arsenal (SOCOMENA)de Menzel Bourguiba. Son fils Mohamed, qui dirige l’affaire aujourd’hui, a un niveau de l’enseignement secondaire. Le petit-fils de si Hassine aussi, qui travaille dans l’entreprise. Ce sont des Tunisiens comme vous et moi. La caractéristique remarquable de leur entreprise est non seulement la pertinence de leur idée, pertinence qui a été révélée par l’accueil du marché, mais aussi que leur démarche n’a pas été d’aller voir les statistiques douanières des importations tunisiennes pour justifier l’utilité et la viabilité de leur entreprise. C’est-à-dire qu’à contrario, de la majorité des agréments de l’API, ils n’ont pas suivi une démarche d’Import Substitution. Certes, des tamis similaires étaient peut-être fabriqués en Italie ou ailleurs, mais ils n’étaient pas vraiment importés en Tunisie et n’avaient pas un marché vraiment culturellement identifié ici, au départ.

 

Hassine El Gharbi a continué dans ce chemin. En janvier 1986, il se représente au 3ème Concours de l’invention BSB avec un autre prototype: "il s’agit", explique-t-il, d’une rouleuse de pâte pour les boulangers, car j’ai remarqué que dans les pains subsistent souvent des boules humides et non cuites. Aussi cette rouleuse permet de pétrir très intimement la pâte, car les pétrins qui se trouvent chez nos boulangeas ne suffisent pas. Le 5ème prix du concours lui est décerné. Encore une fois son idée s’avère pertinente puisqu’en janvier 1987, il annoncé qu’il a fabriqué et vendu 250 rouleuses de pâte, durant l’année 86.

 

En janvier 1987, il s’est encore représenté avec un nouveau prototype:"c’est, dit-il, un tamis vibrant polyvalent pour les petites • meuneries et même pour les industriels de l’agro-alimentaire". Il y a de fortes chances pour que cet appareil devienne lui aussi une innovation réussie, c’est-à-dire qui soit sanctionnée favorablement par le marché tunisien.

 

Ce qui est étonnant avec Hassine Ei Gharbi et sa famille, c’est qu’ils sont presque illettrés, pourtant cela ne les empêche pas de mettre au point des produits nouveaux et bien absorbés par le marché.

Ils n’ont pas pourtant pas conçu leur prototypes en passant d’abord et nécessairement par la table à dessin et les calculs de mécanique.

Comment ont-ils donc fait ? Tout simplement, ils ont fabriqué des modèles réduits d’abord pour voir les problèmes que pouvaient poser les vibrations, et ils ont exposé au salon, leurs modèles réduits à côté du prototype final,grandeur nature. Certes, dorénavant ils se mettront en contact avec le centre technique des industriesmécaniques CETIME pour utiliser pour leurs futurs prototypes, de plus en pïus sophistiqués, les excellents services des ingénieurs de cet organisme.

Mais toujours reste-t-il qu’ils ont créé 45 emplois d’une manière naturelle. Ils sont des industriels et des entrepreneurs naturellement.

Connaissez-vous Amel Belhassen ? Elle est aussi est un héros inconnu de la Tunisie de 1987. Elle a 28 ans. Sociologue, elle a fondé une entreprise ; mais une entreprise du 3ème type, si l’on peut dire, car elle fabrique et vend un produit ultra-moderne. Un produit immatériel, qui n’a pas eu besoin de l’importation de matériel. Amel Belhassen vend des stages de formation en sécurité et de formation continue, en général. Après avoir travaillé dans un organisme étatique, pendant plusieurs années, elle a décidé de fonder son entreprise. Sans l’aide de personne, avec une amie à elle.

Ne vous inquiétez surtout pas pour cette jeune femme, petite, menue et d’apparence timide, elle a déjà un carnet de commandes chargé pour l’année 1987. Car ses clients se sont précipités, quand ils ont vu dans son catalogue la pertinence des thèmes de formation qu’elle proposait. L’Armée Nationale est déjà son client, mais aussi des entreprises privées.

Amel Belhassen est pour moi représentative d’une génération nouvelle de Tunisiens qui innovent et fondent des entreprises sans avoir à être incités par des avantages fiscaux ou autres offerts par l’Etat. Ils le font naturellement, sans avoir besoin de transgresser des tabous quelconques en eux-mêmes, ni avoir des états d’âme ou de faire de la métaphysique dans les réunions publiques sur les possibilités de créer de l’emploi ou de favoriser les PME.

Amel Belhassen, Sfaxienne, 28. ans, et Hassen El Gharbi, Bizertin, 80 ans, me démontrent tous les jours, parmi des des dizaines, des centaines, des milliers d’autres exemples, que les Tunisiens sont naturellement entrepreneurs, naturellement innovateurs, et que l’industrie n’est pas et au fond n’a jamais été étrangère à la société tunisienne. Les Tunisiens savent naturellement produire des richesses, depuis toujours, car c’est un peuple très profondément cultivé, dans ce que la culture a d’essentiel, c’est-à-dirc survivre et s’épanouir naturellement.

Que les colons aient essayé de nous tenir à l’écart de l’industrie avant l’indépendance, c’est dans l’ordre des choses. Et il ne faut pas s’étonner qu’en partant, ils n’aient pas laissé derrière eux beaucoup d’industriels musulmans.

Mais que certaines de nos élites techniques, fils du petit peuple et non de beys, après tout, aient essayé ensuite de démontrer,et essayent de démontrer que la technique moderne est très sophistiquée et qu’au fond elle n’est pas à la portée de la maîtrise de n’importe qui, bref que l’industrialisation ne peut-être que d’inspiration exogène,cela me parait moins compréhensible.

Il y a, aujourd’hui, dans mon pays 7 millions d’entrepreneurs. Nous sommes naturellement et nous l’avons toujours été. L’industrie n’est pas un processus culturel qui nous est étranger. La preuve, regardons donc ce qui se passe du côté de Sfax, de Ksar I-Iellal ou de Béni Khiar.

Laissons aussi faire la nature, libérons donc les Tunisiens de nos entraves administratives,dont certaines,sans que nous ayons fait assez attention ù cela portent l’empreinte et la trace du préjugé colonial contre l’indigène musulman. Diminuons donc les entraves avant de penser à multiplier les subventions, car on ne peut appuyer sur l’accélérateur et le frein en même temps.

Ainsi ce texte, vous l’avez compris cher lecteur, est un hommage à tous les Hassine El Gharbi, et à toutes les Amel Belhasscn de mon pays. C’est ainsi que je les salue tous et toutes.

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