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Moncef Bouchrara

10 MILLIONS D'ENTREPRENEURS Les Tunisiens connaissent la désillusion des après révolutions. Devant l'impuissance et l'irresponsabilité historique de leurs gouvernants et de leurs élites politiques, beaucoup cherchent d'autres voies de redressement du pays et de leur socièté.Comment regarder La Socièté Tunisienne autrement ? Comment regarder l'homme autrement ? Ce blog offre en partage un certain nombre de mes textes écrits et publiés, pour certains depuis plus de 30 ans. D'autres plus recents. Ils refletent une autre perspective et une autre vision pour se redresser et se remettre sur le chemin du progrès et de l'égalité. Le chemin pour une Socièté de 10 millions d'entrepreneurs citoyens.

DU MYTHE DE L’INGENIEUR A L’INGENIEUR DES MYTHES ( 1986) Par Moncef Bouchrara

DU MYTHE DE L’INGENIEUR A L’INGENIEUR DES MYTHES
Par
Moncef Bouchrara

 

 

Article paru à Tunis dans la revue "Dialogue" N°629 du 27/10/86

 

 

 

S’il vous arrive un jour de passer par Béni Khiar, petit village du Cap-Bon, arrêtez-vous devant le petit atelier de mécanique de M.Malek Nachi. Malek Nachi a un bac technique et il ; est âgé aujourd’hui de 27 ans. Il a crée son affaire, il y a cinq ans. Lassé par des centaines de demandes d’emplois, restées sans réponses.

"J'ai fini,un beau matin, par me regarder dans une glace", me raconte-t-il, "et, je me suis déclaré à ce moment-là, que j’étais le plus grand ennemi de moi-même".

Immédiatement, il commence à faire pression sur son père,petit agriculteur, ayant comme fortune un petit verger d’orangers déclinant, car la nappe phréatique était devenue salée. La discussion entre les deux fut violente et elle termina ainsi : "c’est la première fois et la dernière fois que je t’aide voici les quelques centaines de dinars que tu me réclames, et tu peux occuper,par ailleurs,la petite écurie qui donne sur la route", déclara le père.

 

Malek aménagea tout seul l’écurie et avec son petit pécule comme acompte réussit à convaincre M.Frej Mahjoubi, le directeur de la Société Mine Usine, de l’Avenue de Carthage, à Tunis, de lui vendre un petit tour d’origine bulgare, peu cher ainsi qu’un poste à soudure. Après avoir commencé à travailler, il remboursa scrupuleusement les dettes qu’il avait contractées auprès de son fournisseur. Aujourd’hui, Malek Nachi fait travailler sept personnes dans son atelier, dont deux ouvriers qualifiés. Certes, dans une seconde phase, il a pu contracter un prêt de quelques milliers de dinars pour agrandir son atelier, et augmenter ses équipements, mais au départ, il n’avait droit à rien, trop jeune et sans expérience,lui a-t-on répété. Malek a commencé à réparer les charrues, les remorques, les tracteurs et les "404 bâchées".

 

Aujourd'hui, il est sous traitant de plusieurs usines et fabrique des pièces en petite série. Mais il y a une spécialité dans laquelle il excelle : il copie des machines, celles qu’on ne peut plus importer et beaucoup d’industriels de la région lui doivent d’avoir su réparer leurs machines rapidement ou de les avoir multipliées.

 

Malek Nachi est un héros en fait, mais un héros que nous ne savons pas voir, car les échelles de valeur et les types de héros dans notre pays sont très peu nombreux. Ouvrons donc nos quotidiens (ou les hebdomadaires en arabe) qu’y voyons- nous? Les quatre premières pages sont consacrées à la politique, les trois dernières aux sports ou aux artistes de variétés. Ce sont des activités estimables pour notre avenir, certes, mais demandez donc à nos enfants ce qu’ils aimeraient devenir et ne soyez pas étonnés quand ils vous répondront, je voudrais être ministre, star de football ou artiste de variétés. Il en est de même de notre télévision, qui joue un rôle extraordinaire dans la formation, des jugements de notre jeunesse et des images auxquelles elle voudra s’identifier plus tard. Ainsi, on peut affirmer sans exagération,que dans chaque pays, la variété des types de héros présents dans l’imaginaire collectif a une incidence directe sur les chemins explorés par les habitants de ce pays. Plus sa mythologie est riche, plus la liberté des individus et des groupes sociaux de s’épanouir tels qu’ils sont est assurée..

 

J’ai 40 ans, et je pense à tous les garçons et les filles de mon âge, qui sont devenus ingénieurs comme moi ou médecins en Tunisie. Pourquoi? Probablement à cause de quelques polytechniciens ou chirurgiens que ma génération a idéalisés en 1960. Et c’était bien ainsi. Mais aujourd’hui, l’élitisme n’est plus de mise. Et les grands polytechniciens et les grands chirurgiens ne doivent plus et ne peuvent plus être les seuls exemples à suivre.

Malek Nachi n’est pas polytechnicien, il a pourtant beaucoup de mérite à exister, tel qu’il est. Des Malek Nachi, dans notre pays, il y en a des centaines, des milliers, jeunes ou vieux, faisons en sorte qu’ils soient reconnus et admirés pour qu’ils naissent.

 

La Tunisie de 1986,bien différente de celle de 1956, ne peut plus se suffire des mythes des grands ingénieurs, car elle exige des ingénieurs des mythes.

Moncef Bouchrara, Octobre 1986

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